vendredi 25 novembre 2005 par Anne Querrien
La métropole mondiale, le monde en voie d’urbanisation rapide, est formée d’archipels de villes plus ou moins grandes, de territoires multiples soumis à la logique du capital financier.
Je vais prendre à l’envers la question posée dans ce séminaire « Métropole et multitude » et partir de la multitude, comme nous y invite le récent mouvement des cités. Je dis cités et non banlieues car ce mouvement a concerné deux cent villes, notamment moyennes, toute la part française de la métropole mondiale et pas seulement les banlieues des grandes agglomérations. La métropole mondiale, le monde en voie d’urbanisation rapide, est formée d’archipels de villes plus ou moins grandes, de territoires multiples soumis à la logique du capital financier. Je ne connais malheureusement assez pour pouvoir en parler que ceux labourés par la cité savante française, une cité très enclavée, au niveau de connaissance très limité. Mais c’est pourtant à partir de là, de ma base, que je vais essayer de tirer le fil de la multitude, une direction à creuser, à saper, à la rencontre des autres détachements de la multitude mondiale.
Ces « cités », où a été réduit l’accès à la citoyenneté ont été édifiées il y a une quarantaine d’années avec l’appellation de grands ensembles d’habitations à loyer modéré pour loger les ouvriers des industries déconcentrées, concentrer les travailleurs à portée de bus, de mobylette ou de vélos des lieux de travail peu qualifié. Ces usines ont fermé, le travail est parti plus loin et surtout exige de nouvelles compétences, des « connaissances ». Le nom cité, qu’on trouvait déjà dans les banlieues ouvrières a été donné alors par les enfants a leur lieu d’habitation : t’es de quelle cité ? Rien à voir avec les « cités » comme univers de légitimation dans l‘oeuvre des sociologues Boltanski et Thévenot sur la justification ? Et pourtant... T’es de quelle cité ? T’es de quelle origine ? Comment tu justifies ce que tu fais ? En fait il s’agit bien du même concept de cité, agi en commun à deux bouts du spectre de la cité savante. Un concept de communauté à mettre en mouvement.
Les « connaissances » sont de multiples genres mais les connaissances enseignées dans les écoles et collèges ne reconnaissent pas le désir d’apprendre de ceux qui les fréquentent parce que ce désir d’apprendre n’a pas la forme canonique. J’emploie le mot canonique à dessein car cette forme a été donnée par les ordres religieux enseignants, Frères des écoles chrétiennes, jésuites et oratoriens, et reprise à l’identique par l’école laïque avec Dieu, soit le mouvement vers l’infini, la motivation, en moins. L’école refoule les enfants non-conformes, aux désirs divergents, ceux qui pourraient apprendre à leurs camarades quelque chose, comme l’a très bien montré Célestin Freinet. Les premières informations sur les émeutiers arrêtés pendant les journées de début novembre montrent qu’il s’agit de gens très jeunes, à 85% non connus des services de police, non délinquants de droit commun, des objectivement politiques, même s’ils n’ont pas les mots pour le dire et que personne ne les soutient. Des informations plus proches disent qu’il s’agit de jeunes en grande difficulté scolaire ou déjà rejetés par leurs collèges et se pensant de ce fait sans avenir. Des gens très différents de ceux qui fréquentent le collège de philosophie ou l’école normale supérieure, qui auraient tout intérêt à faire leur connaissance.
Le rôle sélectif de l’école avait déjà été bien souligné par Pierre Bourdieu, et surtout Christian Baudelot et Roger Establet, « L’école primaire divise », qui montrait, statistiques à l’appui, dans les années 1970, qu’au fil des années d’école primaire, les enfants d’ouvriers prenaient du retard et arrivaient donc en sixième avec un handicap de l’âge, qui signalait aux enseignants leur vraisemblable déficience intellectuelle, puisque depuis le début du XX siècle l’intelligence est évaluée par la normalité des performances par rapport aux enfants d’école du même âge. On lira à ce propos les œuvres d’Alfred Binet, inventeur du test du quotient intellectuel. Or des études américaines ont démontré expérimentalement que les écoliers et collégiens réussissaient conformément à ce qu’anticipaient d’eux leurs professeurs. Cette anticipation est en général la reproduction sociale et professionnelle, même si la crise industrielle a rendu cette reproduction impossible. Quand aux enfants élevés par une mère seule et surtout de père inconnu, on ne sait pas quoi en faire dans ce schéma.
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