vendredi 8 décembre 2006 par Jean-Yves Rochex
La politique ZEP, premier exemple français de politique dite “de discrimination positive“ qui se proposait, selon les termes de la circulaire du 1er juillet 1981, de contribuer à corriger l’inégalité sociale
Dans un texte récent, consacré aux rapports entre le savant et le politique, et entre enquêtes sociologiques et réformes pédagogiques, Jean-Claude Passeron cite la création des ZEP (Zones d’Éducation Prioritaires) au début des années 1980, comme un des exemples de l’influence exercée par la sociologie de l’éducation, et en particulier par les travaux que lui-même et Pierre Bourdieu avaient alors consacrés aux Héritiers et à La Reproduction, sur « la réflexion et les mœurs pédagogiques » (Passeron, 2004).
De fait, la mise en lumière, dans les deux décennies précédentes, des inégalités sociales d’accès au savoir et à la formation, mais aussi du rôle joué dans la production de ces inégalités par la culture scolaire, par ses modes de transmission et par les modes de fonctionnement du système éducatif, a constitué la toile de fond sur laquelle a été mise en œuvre, très tôt après l’alternance de 1981, la politique ZEP, premier exemple français de politique dite “de discrimination positive“ qui se proposait, selon les termes de la circulaire du 1er juillet 1981, de « contribuer à corriger l’inégalité sociale par le renforcement sélectif de l’action éducative dans les zones et les milieux sociaux où le taux d’échec scolaire est le plus élevé » et, pour cela, de « subordonner l’augmentation des moyens à leur rendement escompté en termes de démocratisation de la formation scolaire ».
Plus de vingt ans après, que peut-on dire de la mise en œuvre et des vicissitudes d’une telle politique ? Quel bilan peut-on en faire ? A-t-elle contribué à la démocratisation escomptée, à la réduction des inégalités sociales face à l’école ? A-t-elle permis d’avancer dans le sens de cette « pédagogie rationnelle d’inspiration sociologique », de la « pédagogie du contre-handicap » (Ibidem) que leurs travaux conduisaient Bourdieu et Passeron à appeler de leurs vœux ? Les difficultés, les obstacles, voire les impasses ou les dérives, qu’elle a connus ou auxquels elle a donné lieu peuvent-ils nous aider à mieux penser, voire à mieux combattre, les processus de production de l’inégalité scolaire ?
1. Une politique de plus en plus incertaine
Inspirée de précédents anglo-saxons, revendiquée par le SGEN-CFDT depuis 1972 et inscrite en deux ligne dans le Plan socialiste pour l’Éducation nationale, publié en 1978 par le PS (Cogez, 1996), la création des ZEP est l’une des toutes premières mesures prises par le ministère Savary, dès juillet 1981. Les circulaires fondatrices de cette politique préconisent, d’une part, une approche globale de l’échec scolaire, la détermination de zones où, à « l’inadaptation de l’appareil scolaire », se conjuguent les « difficultés dues aux insuffisances constatées dans différents domaines, et notamment ceux du travail, des loisirs, de l’habitat, de la sécurité », d’autre part, l’élaboration de projets d’action spécifiques à chaque zone considérée, associant agents scolaires et “partenaires“ extérieurs du système éducatif, et dont il est explicitement dit qu’ils ne doivent pas se limiter à « un simple renforcement des moyens traditionnellement mis en œuvre » (circulaire du 28/12/1981).
Le choix ainsi opéré ne consiste donc pas seulement à affirmer que l’on veut « donner plus à ceux qui ont le moins », selon la formule lapidaire à laquelle on réduit bien souvent cette politique. Il est également, d’une part, de privilégier pour ce faire une approche en termes de territoires plutôt qu’une approche en termes de populations – laquelle, à l’instar d’autres politiques scolaires de “discrimination positive“, aurait ciblé les élèves considérés comme défavorisés, indépendamment de leur lieu de scolarisation ou d’habitat – et, d’autre part, d’en appeler à la mobilisation et à l’initiative des acteurs et équipes “de terrain“ plutôt que de leur fixer des orientations de travail, dans une démarche inédite jusque là en France en matière de politique éducative, mais qui inspirait la politique Habitat Vie sociale, prémices de ce qui deviendra plus tard la politique de la Ville, démarche qui posait le niveau local comme l’unité la plus pertinente de traitement des difficultés sociales et scolaires, et d’élaboration de projets éducatifs adaptés à ces difficultés . La politique ZEP est donc également le premier exemple français de “territorialisation des politiques éducatives“ et de “diversification“ de l’offre scolaire, problématiques qui se sont progressivement appliquées à l’ensemble des décisions politiques prises en matière d’éducation depuis les années 1980.
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