vendredi 6 mai 2005 par Libero Maesano
La software crisis et le développement de la production communautaire de logiciel ouver.
Avant-propos
La recherche qui est derrière ce papier a plusieurs motivations :
La tentative de caractérisation plus précise du capitalisme cognitif, par l’analyse d’un coté des processus de travail concret de la sphère de production de cet immatériel spécifique qui est le logiciel, qui occupe désormais la place centrale dans la production et reproduction de la richesse, et, de l’autre coté, par les rapports de production capitalistique. En d’autres termes, de voir comment le rapport de production capitalistique soumet (ou essaye de soumettre) la production du logiciel. La sensation initiale, nourrie aussi par plus de vingt cinq ans d’expérience professionnelle, est pour ce qui touche la reproduction et la crise, cette dernière, loin de pouvoir être caractérisée de façon classique, comme crise de la reproduction élargie (comme processus qui vient interrompre un cycle long de reproduction « ordonné »), est plutôt immanente, constante et toujours présente : plutôt que de crise dans la reproduction, il s’agit de reproduction dans la crise.
• La tentative d’expliquer des phénomènes apparemment inexplicables et contradictoires comme : (i) l’entrée massive du logiciel ouvert et libre, produit par un processus de production non capitalistique, dans le cœur de la production et la reproduction du capital ; (ii) la cession massive, de la part d’entreprises comme IBM, de logiciels avancés, produits par des efforts importants de recherche et développement, et donc en théorie source d’avantage compétitif, vers le monde du logiciel ouvert et libre, avec renonciation des supposés avantages ; (iii) la croissance extraordinaire et le taux de profit élevé d’entreprises comme Microsoft, dont le modèle est basé à l’inverse sur une revendication forte de la propriété intellectuelle du logiciel.
Le parti pris est de conduire l’analyse au cœur du processus de production (et d’éviter les pièges de l’analyse en termes « distributifs »).
La crise du logiciel
Le point de départ de cette contribution est un phénomène qui peut être considéré « technique » et propre à un secteur spécifique de l’industrie : la « software crisis ». La crise du logiciel est la difficulté, largement constatée dans tous les secteurs, à estimer correctement l’effort requis et la fiabilité du résultat de l’activité de production de logiciel. Les entreprises et les administrations sont sans cesse confrontées aux erreurs graves de sous-estimation des coûts et des délais, ainsi que des risques, des projets de développement logiciel. Il résulte aussi très difficile d’estimer correctement la fiabilité (à savoir l’absence de dysfonctionnements) du résultat des projets qui « réussissent » - et l’erreur va toujours dans le sens d’une sous-estimation. Le manque de fiabilité ajoute aux coûts de développement d’autres coûts, dit de maintenance, qui, sont souvent cachés et très difficiles à faire apparaître. Les coûts « apparents » de maintenance (ceux qui apparaissent explicitement dans les comptes de l’entreprise) sont déjà exorbitants et absorbent des pourcentages croissants des budgets informatiques des entreprises et des administrations, mais ne représentent qu’une partie des coûts. Par ailleurs, un nombre élevé de projets importants échoue complètement sans fournir aucun résultat exploitable. En fait, dire que la crise du logiciel est un phénomène « technique », réservée aux professionnels d’un secteur particulier de l’industrie, revient à en sous-estimer l’impact, qui est de portée beaucoup plus générale. Le « grand public », au moins celui qui est « en deçà » de la fracture numérique, a droit quand même à un aperçu du problème, si l’on pense d’un coté aux dysfonctionnements (et trous de sécurité) de Microsoft Windows et à leurs conséquences en termes de gestion des « fixes » et des « services packs » qu’il faut installer régulièrement pour corriger ces dysfonctionnements, et de l’autre coté aux dates de livraison des « prochaines » version du logiciel qui, après plus de vingt ans d’existence de Microsoft, sont toujours fantaisistes, sans cesse remises en causes, sans parler du contenu de ces fameuses prochaines versions, qui lui aussi change sans cesse. Tout cela frappe l’imaginaire du « grand public » et donne lieu à toute sorte de théories, comme par exemple la théorie du complot : il s’agirait d’une ruse, d’une stratégie commerciale et marketing de Microsoft pour faire fonctionner son business model, qui est quand même toujours centré sur la vente en masse de « boites », de produits logiciels unitaires (essentiellement les Windows et les « suites » Office). Ces nouvelles versions sont évidemment « irresistibles » et plus prosaïquement censées résoudre les problèmes des versions précédentes. On n’imagine pas que le plus grand industriel du logiciel du monde (et, de surcroît, un pure player de cette industrie) ne soit pas capable de maîtriser ses plans de développements et la fiabilité de ses produits. Donc , de ceux choses l’une : soit il fait exprès ou bien, selon les compétiteurs et ennemis de Microsoft, il est vraiment « mauvais » e fonde sa puissance sur un coup de bol de départ, suivi par une agressivité commerciale à la limite du gangstérisme et, ensuite, par des produits complexes dont les rendements croissants d’adoption verrouillent le « parc » clients. On verra par la suite qu’il n’en est rien et que l’explication de tout cela est beaucoup plus terre terre. Un des documents les plus connus sur la question est « The Chaos Report », résultat d’une étude conduite en 1995 par le Standish Group, un firme d’analyse et recherche en IT. Les données présentées sont frappantes : nous allons les résumer brièvement. Aux Etats Unis, en 1995, la dépense en développement des projets IT a été d’environ 250 milliards de dollars, pou environ 175 000 projets. Le coût moyen d’un projet pour une grande entreprise est de 2 322 000 $, pour une moyenne entreprise de 1 331 000 $, et pour une petite entreprise de 434 000 $. De ces projets, en 1995 :
• 16,2% se sont terminé avec succès, ayant implémenté les fonctionnalités initialement spécifiées ;
• 52,7% se sont terminés avec un dépassement, en délai ou en coût ; le dépassement moyen en coût est de 89% ; les entreprises et les administrations ont dépensé 59 milliards de dollars de coût supplémentaire, non initialement prévu ;
• 31,1% ont été arrêtés en cours de route et n’ont produit aucun résultat exploitable ; la dépense globale pour ces projets est de 81 milliards de dollars.
L’étude couvre une partie importante du développement du logiciel, à savoir celui qui fait tourner les entreprises et les administrations, mais il ne couvre pas toute l’industrie du logiciel (l’industrie des jeux sur ordinateur, par exemple, ou même les activités de Microsoft évoquées plus haut, et en général les éditeurs de logiciel).
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