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L’Ecole Mutuelle , une pédagogie trop efficase ?

samedi 1er octobre 2005, par Anne Querrien

Mais cet espace commun du début de la vie de chacun semble pourtant plein d’autres potentialités, qui pointent d’ailleurs le nez dans la joie des activités annexes, des sorties, de tout ce qui n’est pas « scolaire ». L’école, quoique assujettie à la reproduction des hiérarchies sociales, en réunissant adultes et enfants, ouvre des moments à leur imagination commune.

L’Ecole Mutuelle , une pédagogie trop efficase ?
Les Empêcheurs de penser en rond /Le Seuil-Octobre 2005,Paris.

Chapitre 1

L’ensorcellement scolaire

Nous sommes ensorcelés par le capitalisme. Nous travaillons pour lui, nous croyons qu’il faut travailler pour lui, non seulement pour vivre, mais pour augmenter ses profits afin qu’il puisse investir dans de nouvelles productions pour s’assujettir de nouveaux travailleurs, ou les mêmes travaillant plus vite et mieux. : Le capitalisme a réussi à nous faire croire un temps que le progrès serait indéfini, que nous serions toujours plus nombreux à profiter de ses avantages, que la planète serait un jour civilisée toute entière, tout entière soumise aux promesses de la république : liberté, égalité, fraternité.

Les guerres, puis la conscience croissante du désastre environnemental, nous ont conduit à douter, à ne plus prendre pour argent comptant un horizon repoussé chaque jour plus loin par la réalité de la production de l’argent, par la financiarisation croissante de l’économie. Les inégalités se creusent.
Le capitalisme a installé déjà depuis plusieurs siècles l’espace où se forgent nos croyances, et où elles se dissipent aussi. Un espace où celui qui y croit réussit, un espace où celui qui doute a les résultats qu’il mérite. Dans cet espace doivent passer obligatoirement tous les petits d’hommes ; dans cet espace ils apprennent à travailler et à se jauger les uns les autres par les résultats de leur travail, et par bien d’autres dimensions non officielles, voire interdites. Cet espace peut-il être un espace de vie ? Accueille-t-il tous les enfants sans exclusive ? Est-ce un espace où chacun apprend des autres et où chacun apprend aux autres ? Ceux qui y officient pensent et démontrent que l’égalité qui existe constitutionnellement ne peut exister en fait. Prenez cette chose totalement immatérielle qu’est l’esprit, la capacité à lire, écrire et compter : pour certains les maîtres n’ont qu’à en constater la possession, pour d’autres ils n’arrivent pas à la faire acquérir. Ils ne peuvent que classer les élèves, il le faut bien, pour que le capitalisme sache à quel type de travail les affecter. Et le tour est joué, une nouvelle génération d’élèves peut venir se faire ensorceler, venir se faire classer. Les maîtres renâclent pourtant à se faire ainsi les « petites mains » du capitalisme. Ils préfèrent être celles de la science. Mais c’est précisément celle-ci, son aptitude à réorganiser les travaux différemment selon l’échelle hiérarchique des savoirs, qui permet au capitalisme de se développer. Plus les découvertes scientifiques avancent et plus le capitalisme mobilise d’argent, et donc de travail, pour les appliquer à de nouvelles productions de profit.

Mais cet espace commun du début de la vie de chacun semble pourtant plein d’autres potentialités, qui pointent d’ailleurs le nez dans la joie des activités annexes, des sorties, de tout ce qui n’est pas « scolaire ». L’école, quoique assujettie à la reproduction des hiérarchies sociales, en réunissant adultes et enfants, ouvre des moments à leur imagination commune. Ces moments, ceux du plaisir, ceux qu’a retenus la mémoire, ne sont pas codés par les instructions officielles. Ce sont autant de micro-expériences locales, mais faute d’enregistrement elles ne forment pas l’école comme institution, comme inscription dans l’inconscient. Elles font douter seulement de son message : si l’école ne fait que reproduire la hiérarchie sociale, pourquoi cette devise, pourquoi cette promesse ? Et au-delà de la France pourquoi la promesse de la démocratie, d’une citoyenneté faite aussi d’égalité et de liberté ?

Cette démocratie, cette désintrication des hiérarchies, le capitalisme en a lui-même besoin pour développer sa puissance d’invention, pour multiplier les chances d’une coopération productive entre les cerveaux . Au-delà des expériences locales, l’institution scolaire elle-même est appelée de plus en plus à changer, à pluraliser les voies de la réussite sociale. Le modèle produit en France est particulièrement lourd à transformer ; tant les mots et les choses y sont fortement intriqués. Il se présente comme la conclusion d’un débat national sur lequel il n’y a plus à revenir.
Pourtant au début du XVIII siècle, lorsque les écoles communales commencent à se substituer aux écoles de charité apparues au XVII siècle, une option différente est pratiquée, puis abandonnée, car jugée trop efficace : « l’école mutuelle ». Apprendre trop vite risque de faire apprendre trop. Faire de chacun le maître de l’autre dans le domaine où il lui est supérieur risque de faire mépriser les hiérarchies en vigueur. Aujourd’hui la connaissance et sa croissance sont affirmées comme les principaux leviers en même temps que les principaux objectifs du développement économique. L’apprentissage continu de tous, auprès de tous, redevient d’actualité, et la réflexion sur le modèle pédagogique de l’école une nécessité.

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